06.12.2024

« La fin d’une ère » : quand les fresques pornos à l’hôpital deviennent inclusives

Le Point
Article du 6 décembre 2024
par Nathan Tacchi

Conformément à une instruction ministérielle, les fresques carabines disparaissent doucement des salles de garde dans les hôpitaux et sont remplacées par des œuvres à la sauce XXIe siècle.

 

[…] À l’hôpital Beaujon (Clichy), [des] fresques à caractère pornographique ornaient aussi les murs de la salle de garde des internes. « C’est vrai que ça pouvait choquer », réagit Nathalie Pons-Kerjean, cheffe du service pharmacie de l’hôpital de l’AP-HP.

Le 17 janvier 2023, comme l’ensemble des établissements hospitaliers en France, le GHU de Paris et l’hôpital Beaujon ont reçu une instruction ministérielle leur demandant de retirer leur fresque à caractère pornographique et sexiste. Ce décret s’inscrit dans le cadre d’une « politique de tolérance zéro et d’engagement total face aux situations de maltraitance, de harcèlement et de violences morales ou sexuelles à l’encontre des étudiants en santé ».

Depuis plusieurs années, des associations féministes et voix dans le milieu médical s’élevaient contre ces dessins crus, violents, à l’humour douteux. On se souviendra notamment de la victoire de l’association Osez le féminisme, qui avait obtenu l’effacement d’une fresque représentant un viol collectif dans la salle de garde du CHU de Clermont-Ferrand en 2015.

Supprimer les fresques pornographiques ou les remplacer ?

Mais au lieu de supprimer ces fresques « folkloriques », comme les décrit Claire Jaffre, ces deux hôpitaux [Beaujon et Sainte-Anne], parmi d’autres, ont fait le choix de les remplacer par des fresques inclusives, reprenant les codes carabins, en excluant toute approche sexiste et pornographique.

Selon un décompte de l’Agence France-Presse, vingt-cinq à trente salles de garde en Île-de-France et quelques sites en région étaient concernés. Dans un mail au Point, la direction de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris indique de son côté que 18 hôpitaux sur les 38 de l’AP-HP ont été visés par ce décret et que 7 hôpitaux ont déjà retiré leurs fresques.

Pour ne pas froisser le corps médical, à l’hôpital Beaujon, pas question de recouvrir les fresques « d’un simple coup de peinture », explique Nathalie Pons-Kerjean. « Nous avons alors réfléchi à un projet artistique intelligent, qui respecte l’injonction ministérielle, et porté par la communauté médicale. Nous avons alors fait appel à un illustrateur : Good-Bye Hippocrate*. »

Good-Bye Hippocrate est dessinateur, mais aussi urgentiste. À 41 ans, ce Bayonnais vit aujourd’hui de sa passion, tout en gardant son activité médicale, et a déjà collaboré par le passé avec l’hôpital Beaujon autour d’illustrations destinées aux soignants. Quand Nathalie Pons-Kerjean, pilote de ce projet artistique, lui a proposé cette nouvelle collaboration, il n’a pas hésité : « J’avais carte blanche. J’ai pu faire exactement ce que je voulais, même travailler sur la nudité. C’était un peu schizophrénique, puisque je devais aller dans le sens de l’histoire, tout en gardant une forme de tradition carabine. »

Pendant près d’un an, le dessinateur a travaillé sur ses œuvres, en détournant notamment la fresque du plafond de la chapelle Sixtine de Michel-Ange ou en dessinant l’hôpital lui-même et les médecins qui y travaillent. Dans un univers assez poétique, très coloré, géométrique, bourré de références mythologiques, Good-Bye Hippocrate a rendu un bel hommage à l’ensemble du corps médical, et de manière respectueuse.

« C’était un superbe challenge. Je suis très heureux d’avoir pu rendre l’hôpital moins inhospitalier, avec des messages féministes et écologistes. » Le 17 octobre dernier, les œuvres de Good-Bye Hippocrate ont été inaugurées en présence du corps médical. « C’est une très belle réussite, souligne Nathalie Pons-Kerjean. Même les plus réfractaires ont finalement été séduits. »

« Effacer ce pan d’histoire aurait pu heurter »

La mise en place de ces fresques est cependant loin d’avoir fait l’unanimité dans les salles de garde. Des pétitions ont été lancées et des figures de la profession ont fait savoir leur opposition. Le célèbre Michel Cymes avait notamment déclaré à l’époque : « Ce n’est pas seulement […] une tradition mais LA tradition dans toutes les salles de garde en France d’avoir une fresque qui est en général peinte par des jeunes des Beaux-Arts […] Mais franchement, foutez la paix aux étudiants en médecine ! » « Moi-même, je n’y étais pas spécialement favorable », confesse Nathalie Pons-Kerjean.

Dans une démarche de souvenir et de mémoire, les deux hôpitaux ont décidé d’archiver les anciennes fresques. « Nous ne souhaitions pas être dans un phénomène de table rase, de censure mais plutôt d’évolution », justifie Jean-Del Burdairon. « Effacer ce pan d’histoire aurait pu heurter », ajoute Florence Patenotte. In fine, comme le raconte Nathalie Pons-Kerjean : « Nous allons de l’avant, sans renier le passé. Mais plutôt que de subir un texte qui nous a été imposé, nous avons réussi à créer quelque chose qui nous ressemble. »

* D’autres illustrations de Good-Bye Hippocrate sont à retrouver dans l’édition 2024 du palmarès des hôpitaux du Point.

Focus sur une partie du nouvel habillage mural de la salle des internes de l’hôpital Beaujon (Clichy). © AP-HP